Chapitre 2

Melsissi (pp. 27-45)



Le paysage de Melsissi : (pp. 27-28)

« Dans la montagne, la végétation est inextricable. Le long de la bande côtière, des plantations de cocotiers à moitié abandonnées, envahies par l’herbe, alternent avec les prairies où errent des vaches indiennes. » (p. 27-28)

« Le tissage de paniers et le tissage de nattes en fibres de pandanus teintées ». (p. 28)

« [Charlotte Wèi] a organisé une association de femmes afin de maintenir l’un des héritages culturels du Vanuatu, le tressage de paniers et le tissage de nattes en fibres de pandanus teintées. » (p. 28.)

Le couvent de Melsissi : (pp. 29-30)

« Il y a des danses traditionnelles sur la place devant l’église, comme devant le nakamal, avec des tambours en racines de fougères ». (p. 30)

« Il y a peu de temps, un séminariste est venu d’Éfaté. Il a vingt ans, il joue de la guitare, il boit le kava tous les soirs avec les hommes du village sous le grand manguier. Il est drôle, sarcastique, totalement soupçonneux à mon égard. » (p. 30)

Ascension de Melsissi à Ilamre : (pp. 30-36)

« Charlotte parle d’une moto trial qui faisait naguère le voyage entre Melsissi et Vanmelang. La piste a été cimentée autrefois, mais les tremblements de terre ont tout détruit, les pluies torrentielles ont tout raviné. Les seuls visiteurs vont à pied. L’herbe, les lianes et les broussailles ont recouvert la piste. » (p. 31)

« La différence entre Raga et Maurice, c’est qu’ici le temps  semble s’être arrêté au premier chapitre de l’occupation humaine. Il n’y a pas de grandes cultures comme à Maurice, champs de canne, de thé, de gingembre […] aucune trace du monde moderne. » (p. 31-32)

« Les habitants de ces lieux se sont détournés du progrès et de la vie moderne, ils se sont retournés vers ce qui les avait toujours soutenus, la connaissance des plantes, les traditions, les contes, les rêves, l’imaginaire – ce que les anthropologues ont schématisé sous le nom de kastom, la tradition. » (p. 32)

Le plateau d’Ilamre, le « village en l’air » : (pp. 36-38)

Commentaire :

On retrouve dans la description du village traditionnel des habitants de Raga une réflexion sur la notion d’habitation. Le Clézio insiste en effet sur l’inadaptation des constructions à l’européenne par rapport aux maisons traditionnelles du Vanuatu, lesquelles sont construites à partir de végétaux endémiques que l’on retrouve partout sur l’île. La ressemblance évoquée entre la maison traditionnelle et « la pirogue du voyage sans retour » exprime également une tension entre le déplacement et l’enracinement, entre nomadisme et sédentarité, qui est à l’origine du peuplement du continent océanien, mais qui est mis en crise dès l’arrivée des premiers colons.

« À sept cent mètres, la falaise s’incurve en un plateau vallonné, couvert d’arbres où s’ouvrent de vastes clairières. Ce n’est plus le mur de roches noires, ni les torrents obstrués par les lianes et les fougères arborescentes. Ici, la terre est rouge, argileuse, les grands arbres poussent librement, fromagersarbres à painpalmier de l’espèce cycas. » (p. 36)

« Un village sans rues, les maisons en bambou et toit de feuilles semées sans ordre sur ce tapis de verdure. Au centre, l’air de danse en terre battue, et le kamal (la salle commune […]) construit selon le plan rituel de toute la Mélanésie, une longue maison aux murs de bambous recouverte d’un toit de chaume qui imite la forme d’un bateau renversé  – la grande pirogue du voyage sans retour ». (p. 36-37)

« Le dernier [tremblement de terre], il y a une dizaine d’années, a ravagé le village et fait s’écrouler les rares édifices en béton armé construits après l’indépendance : la maison du chef Boulékone, la chapelle, la maison collective qui devait remplacer l’ancien Kamal. Depuis, rien n’a été reconstruit. La preuve de la supériorité de l’habitat traditionnel en bois et en feuille a été donnée pour longtemps ! » (p. 38)

« C’est ici, à Ilamre, dans ce lieu modeste et paisible, que sont fabriquées les plus belles nattes du Vunuatu. (p. 38)

La fabrication des nattes (pp. 38-43)

Les nattes sont de trois sortes, tressées selon la même méthode depuis les temps les plus anciens : tsip, la natte étroite et longue qui sert de jupe aux femmes ; butsuban, la natte pour dormir ; sese, la grande natte, qui n’est utilisée que pour les mariages et les grandes cérémonies. L’art de tresser les nattes est lié à la culture de Raga, il est son identité, sa fierté et sa monnaie d’échange. Cet art est exclusivement réservé aux femmes. » (p. 38)

« D’abord, elles doivent cueillir les feuilles de wip (le pandanus, cette palmequ’on appelle à Maurice vacoa). Après séchage, les feuilles sont passées à la flamme pour les assouplir, puis les femmes en extraient les fibres avec un couteau de bambou. Ensuite, elles emportent les brassées de fibres jusqu’à la mer pur les laver […] Quand les fibres ont été ainsi préparées, elles sont réparties entre toutes les femmes du village qui les emportent chez elles pour les tresser. » (p. 40-41)

« Charlotte a contribué à la reconnaissance marchande de la valeur de la natte. Elle est surtout parvenue à une reconnaissance de leur statut dans la société traditionnellement machiste du Vanuatu. […] la natte est devenue pour elles un moyen d’accès au pouvoir ». (p. 41)

  1. p. 41 : Les nattes ainsi tressées sont d’un blanc éclatant, suit l’opération de la teinture. Elle n’est pas moins complexe. Les dessins sont empruntés à un répertoire qui exprime l’origine même de la culture de Raga. Certains dessins sont simples […]. D’autres sont plus compliqués, et forment de véritables tableaux symboliques. Ugan rava, la fleur d’hibiscuskain bu, la forêt de bambous […] ».

« Pour certains de ces dessins, d’essence ésotérique, la tisserande fait appel à un voyant, un homme ou une femme qui a été initiée grâce à une plante magique (probablement le datura). […] Dans une feuille souple prélevée sur le tronc du bananier il découpe à la lame de bambou le tracé du dessin. La teinture rouge provient d’une liane appelée laba (il en sera question plus loin dans une légende) que les femmes vont chercher dans la forêt, près du bord de la mer. La liane est écrasée jusqu’à former une pâte. Pendant ce temps, on fait bouillir de l’eau dans une sorte de long cylindre fabriqué autrefois avec l’écorce d’un arbre très dur appelé kamptzi. L’arbre aujourd’hui se fait rare. Il a été remplacé par un morceau de tôle […]. Sur un long bamboo, la tisserande enroule la natte enveloppée dans son stencil en feuille de bananier. » (p. 42)

Une histoire d’amour impossible à propos des nattes : (pp. 43-44)

« Laba rendit l’âme dans les bras de celle qu’il aimait et, avant de mourir, lui confia un secret. “ Quand je serai mort”, dit-il dans son dernier souffle, “ Une liane poussera sur ma tombe, et avec elle tu teindras les nattes afin que mon souvenir reste toujours présent  ”. Depuis ce jour, les femmes de Raga impriment sur leurs nattes blanches leurs dessins faits avec le sang de la liane laba, et elles les mettent à sécher sur les plages, là où autrefois Mantawip rencontrait l’homme qu’elle aimait. » (p. 44)



Prélude
Chapitre 1: Le « voyage sans retour »
Chapitre 2: Melsissi
Chapitre 3: « Blackbirds »
Chapitre 4: Taros, ignames, kavas
Chapitre 5: Dieu, dieux, ombres
Chapitre 6: L’art de la résistance
Chapitre 8: Îles
Les Plantes Citées Dans Le Texte